Les 120 ans de l’université populaire de Lille (UPL) : vers quels horizons ?

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« Alors que notre société souffre d’une absence de débats de fond, alors que nous vivons dans un monde qui privilégie l’immédiat et l’artificiel au détriment de l’analyse critique, il est nécessaire de garantir des espaces d’échanges et de réflexion. C’est, pour notre ville, un enjeu fort que de favoriser l’accès des publics à la connaissance et à un enrichissement personnel, dans tous les domaines possibles. »
Martine Aubry1

Mon propos reprendra les principaux mots-clés de la plaquette de la saison 2019-2020 de l’université populaire de Lille (UPL) : émergences pour traiter des sources intellectuelles, idéologiques et politiques de la fin du xixe siècle ; transitions pour évoquer principalement l’œuvre du bâtonnier Jean Lévy au xxe siècle ; mutations pour traiter les défis d’un xxie siècle déjà bien engagé2.

Pour savoir où l’on va, il vaut mieux savoir d’où l’on vient. Cet horizon qui se présente à nous, nous allons le construire ensemble, et je me risquerai à vous faire partager des propositions d’avenir pour la prochaine décennie : 2020-2030.

Dernière précaution, je m’exprime ici à titre tout à fait personnel comme « grand témoin3 » (adhérent bienfaiteur depuis le début des années 1970, alors âgé d’à peine 18 ans, à raison d’une conférence sur deux : entre 450 et 500 conférences) c’est-à-dire que mes paroles n’engagent ni le président, ni le conseil d’administration (CA) de l’université populaire de Lille, encore moins madame la maire de Lille).

Un contexte d’émergences : la fin du xixe siècle

Dans son assemblée générale du 20 décembre 1899, l’Union française de la jeunesse (UFJ) décide de prendre sous son patronage la création d’une université populaire à Lille, l’UPL est la fille de l’UFJ.

La Société d’instruction et d’éducation populaires prit le nom « d’université populaire de Lille et de la région Nord ».

L’initiative lilloise est donc lancée par l’Union française de la jeunesse4 puis reprise par un professeur d’anatomie à la faculté de médecine, Charles Debierre5, leader du parti radical dans le département du Nord et adjoint au maire socialiste (et franc-maçon) Gustave Delory.

Nous sommes au lendemain de l’affaire Dreyfus et le contexte intellectuel des débuts de la Troisième République (lois Ferry) est celui de la diffusion du savoir en vue de l’émancipation intellectuelle, morale et sociale du peuple. Selon Francis Meilliez6, le modèle de transmission culturel est celui des sociétés savantes comme la Société géologique du Nord (SGN), créée en 1870, à partir d’une bibliothèque et de cours ouverts aux auditeurs et auditrices libres en vue de populariser la connaissance scientifique.

À la veille de la guerre de 1914, l’université populaire de Lille, comme la plupart de celles de France, est en crise mais elle survit. Sa tentative de reprise, au lendemain de la guerre, est un échec. Le maire de Lille, Roger Salengro, demande alors en 1932, à un jeune adjoint de la municipalité, l’avocat Jean Lévy, né en 1900, de reprendre la présidence de l’université en voie de disparition… Après quelques hésitations, en raison de ses occupations, Jean Lévy accepte et s’entoure d’un bureau formé d’amis décidés à soutenir son action7.

L’entre-deux-guerres : une institutionnalisation brisée

À Lille tout au moins, le public est au rendez-vous : le nombre des adhérent·es à l’UPL passe de 300 en 1932 à 1 600 en 1936.

À partir de 1930, l’effort de relance est assuré pendant une courte période par le professeur Waringhien, mais apparemment sans grand succès.

Lorsque Jean Lévy, membre du conseil municipal, et secrétaire général du parti radical, prend la présidence de l’UPL le 27 janvier 1932, il imprime un nouveau style et diversifie le programme d’activités.

L’enseignement est laïque et valorise l’esprit critique : l’université populaire « entend soumettre toutes les opinions à la libre discussion et au libre examen ; elle n’en rejette ni n’en impose aucune8 ». Ouverte sur la question sociale, l’UPL ne donnait ni dans l’ouvriérisme, ni dans le populisme démagogique.

Ces valeurs humanistes (laïques et républicaines) ne pouvaient qu’entrer en conflit avec les compromissions du régime vichyssois et de l’idéologie nazie. Il faut se souvenir que l’occupation allemande dans notre région a été particulière longue et brutale (« massacre d’Ascq » du 1er avril 1944). Pour en savoir plus, je vous renvoie à l’excellente contribution de Carole Christen et de Laurent Besse9 qui ont dressé des perspectives françaises et internationales de l’histoire de l’éducation populaire : 1815-194510.

Les « cinquante glorieuses » de l’université populaire de Lille (1945-1995)

L’UPL démarra à la Libération, ce qui démontre une capacité de résilience extraordinaire, et Jean Lévy conforte une organisation qui va démontrer son efficacité pendant plus d’un demi-siècle. À l’occasion du centenaire de l’Union française de la jeunesse (1875-1975), Jean-Claude Allard déclarait :

Depuis, l’université populaire de Lille a grandi, prospéré, rayonné, atteint un point de non-retour et montré l’exemple à la France tout entière. Grâce à l’impulsion du bâtonnier Jean Levy, actuellement maire adjoint délégué aux affaires culturelles, et qui fut maire adjoint dans les deux municipalités dirigées par Roger Salengro et Augustin Laurent, grâce aussi à son comité, l’université populaire de Lille reste la plus ancienne société culturelle de notre pays11.

Jean Lévy disparaît brutalement au cours de l’été 1996 après une soixantaine d’années au service de l’UPL. Le professeur Jean Samaille, directeur honoraire de l’institut Pasteur de Lille, va poursuivre efficacement l’œuvre du bâtonnier, mais des ennuis de santé l’obligent à abréger son mandat. Alain Lottin, ancien président de l’université Charles-de-Gaulle (Lille 3) et président fondateur de l’université d’Artois, lui succède le 17 janvier 2000 jusqu’à l’Assemblée générale du 30 mars 2006. Comme ses prédécesseurs, Lottin maintient le rituel12 de la « conférence de prestige » du dimanche matin, en plein cœur de Lille13, en offrant un lieu de savoirs, de dialogue, dans un esprit laïque, de tolérance et d’humanisme. En complément, il institue le jeudi soir, une formule plus souple, de « cours publics » sur une thématique bien ciblée : historique, artistique, scientifique ou économique, en donnant une vision d’ensemble sur une question particulière. Des conférences-débats permettent au public, en plus petit nombre, de dialoguer sur des sujets d’actualité ou de société. Pour une cotisation très modique, les adhérent·es ont accès à près d’une trentaine de conférences, cours et rencontres-débats d’un haut niveau.

Jacquie Buffin (2006-2009) première femme à accéder à la présidence de l’UPL depuis un siècle, met l’accent sur la communication extérieure, et renforce l’offre culturelle par la réalisation d’une « plaquette de prestige » structurée autour d’une thématique bien particulière, par exemple, les croyances (« l’homme et le divin ») ou encore « la Méditerranée, les hommes, l’héritage ». Cette politique fut poursuivie avec succès par ses successeurs.

Les années d’incertitude de l’UPL : vers une période indéterminée de transitions

J’appelle « transition » les dix déclinaisons du changement depuis le début du xxie siècle et qui sont l’écho de notre monde chaotique et incertain. Cette analyse mériterait de plus amples explications, mais dans le cadre de cette conférence, je serai volontairement très synthétique.

  1. Transition anthropologique (postmodernité : notre condition humaine est bouleversée).

  2. Transition démocratique (gouvernance de la verticalité vers plus d’horizontalité) qui se traduit notamment par une montée de la conflictualité et l’émergence de courants populistes.

  3. Transition démographique (pour la première fois, les plus de 65 ans seront plus nombreux et nombreuses que les moins de 20 ans en France, en 2030).

  4. Transition écologique et énergétique (actualité brûlante !).

  5. Transition économique et sociale (la « troisième révolution industrielle » décrite par Jeremy Rifkin14).

  6. Transition éducative et culturelle (« crise de la transmission15 » quand l’innovation l’emporte sur la tradition).

  7. Transition fiscale : non seulement le prélèvement à la source, mais surtout la taxation des salaires et des profits au regard de la répartition de la richesse (le succès planétaire des travaux de Thomas Piketty sur le capitalisme et ses idéologies).

  8. Transition juridique (conflit entre droit national, européen et international : affaire Vincent Lambert, par exemple).

  9. Transition numérique et digitale (société des écrans, des réseaux sociaux. Les algorithmes et les big data vont-ils gouverner nos vies ?).

  10. Transition spirituelle (remise en cause interne de l’Église catholique apostolique et romaine et apparition de nouvelles formes de croyances ou de religiosités).

Cette liste n’est sans doute pas exhaustive et chacun·e d’entre nous, en fonction de ses préférences partisanes, mettra en avant tel ou tel point induisant une hiérarchie des priorités.

Le drame de notre époque, c’est le cumul de ces ruptures psychosociales et l’accélération du temps qui créent un sentiment de désorientation généralisée et de peurs phobiques (par exemple l’islamophobie, mais aussi bien d’autres peurs à l’encontre des étrangers et étrangères), d’où la nécessité d’accompagner de multiples manières ces évolutions perçues comme brutales. L’université populaire de Lille peut-elle être un outil de pédagogie du changement ?

Je reprends le fil de l’histoire institutionnelle de l’UPL pour rappeler que l’université populaire de Lille a fêté son centenaire le 10 décembre 2000 et celui de la naissance de son refondateur, le bâtonnier, Jean Lévy (né en 1900). L’ambition originaire était forte : faire de l’université, un instrument de promotion culturelle et sociale pour le plus grand nombre. L’utopie était de mettre, sous une forme académique, les savants au service du peuple, sans interroger les modalités de la transmission culturelle des savoirs dans les milieux populaires. Les orientations culturelles de l’UPL s’expliquent en grande partie par l’environnement sociologique de la métropole lilloise. Je renvoie à l’excellent travail de synthèse produit par le collectif Degeyter, composé de neuf enseignant·es-chercheurs et chercheuses sociologues, politistes et géographes (il manque des historien·nes) des universités lilloises et parisiennes16. Par exemple, la faible part accordée à la géographie, à la musique, au théâtre, à la filmologie, etc. a été significativement compensée, ces dernières années, par l’ouverture vers d’autres disciplines que celles établies par la tradition académique.

Les temps changent : vieillissement des auditeurs et auditrices, raréfaction des jeunes publics, surabondance de l’offre culturelle à l’ère des loisirs de masse, invasion des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui modifient le rapport au savoir dans une « société de consommation17 », mais aussi recul de l’art oratoire et de la culture livresque au profit de l’image, du son et des arts du spectacle. La figure de « l’intellectuel critique » (parisien) des années 1960 (Althusser, Barthes, Derrida, Lacan, etc.) cède la place aux communicant·es et aux influenceurs et influenceuses.

Entre 1993 et 2005, le nombre des actifs et actives à l’UPL est passé de 1 473 à 628, le nombre des jeunes de 209 à 70, le nombre des bienfaiteurs et bienfaitrices a le moins chuté en passant de 376 à 284. Au total, en douze ans, le public de l’université populaire de Lille a régressé d’un peu plus de la moitié en passant de 2 058 à 98218. Des statistiques plus récentes communiquées par notre président Bernard Delforce indiquent qu’au cours de la dernière décennie, en moyenne, nous atteignons 800 adhérent·es. Plus récemment, nous avons chuté à 600 adhérent·es. C’est une alerte : disparition ou refondation ? Il n’en demeure pas moins vrai que les soixante-quatre années de présidence de Jean Lévy ont montré les capacités de l’institution à faire face aux circonstances les plus tragiques de son histoire. Les mandats de ses successeur·es précédemment cité·es ont assuré la continuité dans un contexte où les périls sont ailleurs : dans l’idée même de culture et d’humanisme. C’est la raison pour laquelle le président Alain Natali (toujours actif comme président honoraire) croit utile d’insister sur la nécessité d’un engagement citoyen qui est notre raison d’être en vue de « renouveler la connaissance, élargir notre horizon culturel, offrir des visions décapantes d’un passé que l’on croit connaître […] Ce regard lucide sur les réalités, sans préjugé, avec le seul souci de garder ici et maintenant son libre arbitre19. »

À l’ère de la post-vérité, des fake news, de la montée de l’irrationnel, des théories complotistes ; de la recherche d’un bouc émissaire, du retour de la haine, bref de la « délinquance de la pensée20 », les valeurs portées par l’UPL restent d’une entière actualité. Les nouveaux statuts applicables depuis 2010 stipulent que le but de l’UPL est « d’assurer dans le cadre de la laïcité, un complément d’instruction et d’éducation et des conférences d’intérêt général, aux habitants de la région du Nord-Pas-Calais ». Le cadre géographique a changé : la région Hauts-de-France est devenue une eurorégion (métropolitaine), cependant son esprit laïc, dans son principe, demeure. Les invité·es à la tribune de l’UPL le sont au nom de leur expertise sociale et/ou scientifique, jamais comme représentant·es d’une orientation partisane, qu’elle soit idéologique, politique ou religieuse. La laïcité, c’est le pluralisme des opinions et le respect le plus absolu du discernement éclairé de chacun·e d’entre nous dans sa conscience. Ce qui n’exclut pas l’intelligence du cœur puisque de nombreux thèmes proposés aux auditeurs et auditrices de l’UPL impliquent la prise en compte de la dimension de la « cohésion sociale » et la lutte contre les inégalités économiques, sociales, culturelles et territoriales.

« Tant qu’il y aura des femmes et des hommes engagé·es pour défendre une noble cause, l’esprit critique, dans ce qu’il a de plus humain, la première université des savoirs de France (association loi de 1901) d’éducation permanente qui s’adresse dans ses principes, depuis 1900, à tous types d’âges et de milieux sociaux, a un bel avenir21 ». Il en va aussi, faut-il le préciser, de l’engagement d’une trentaine d’administratrices et administrateurs, toutes et tous bénévoles, qui entendent bien transmettre cet héritage aux générations futures.

Toutefois ce serait une faute majeure que de faire de l’autosatisfaction. C’est la raison pour laquelle il nous faut tenter d’esquisser quelques propositions pragmatiques pour répondre aux interrogations de la prochaine décennie.

Vers quels horizons : quelle stratégie de développement à l’horizon 2020-2030 ?

Fort de ce passé brièvement raconté, comment se tourner résolument vers l’avenir en conciliant gestion à court terme, projet à moyen terme et vision à long terme ?

  1. Université. Il n’y a pas de label déposé, c’est à nous de la réinventer en fonction des transformations du monde : savoirs savants validés par une communauté scientifique ; un processus de recherche permanent, une culture des métiers (professionnalisation) et un rayonnement culturel (être à la recherche des « bonnes pratiques »). Nous avons une marge de progrès, me semble-t-il, pour mieux connaître notre public et l’évolution de ses attentes culturelles. Marc Duforeau, ancien administrateur de l’UPL, avait commencé une thèse en sciences de l’éducation, sous ma direction. On ne peut qu’encourager ce genre de démarche d’autant qu’à ce jour, je ne connais aucune thèse soutenue en sciences humaines et sociales sur l’UPL de Lille (par comparaison à d’autres du même genre existant au plan national).

  2. Populaire. Comment « rendre la raison populaire22 » (Michel Onfray) ? C’est une quête permanente. L’académisme a un gros défaut, c’est qu’il hiérarchise les formes culturelles des savoirs au point d’oublier que la culture populaire, c’est déjà de la culture. Les dérives populistes sont régulièrement évoquées à la tribune de l’UPL parce que l’actualité nous y oblige. Cependant, le rôle de notre UPL ne se résume pas dans sa dimension critique, elle est aussi force de propositions. C’est ainsi que par exemple, dès demain soir, sera soumis au conseil d’administration un projet d’envergure portant sur la prochaine décennie et visant à organiser des conférences spécifiques chaque année (de 2 à 3) pour les jeunes et leurs familles, parents et grands-parents, etc.23.

  3. Lille. L’ancrage territorial de la cité s’est considérablement élargi depuis les débuts de la présidence du bâtonnier Lévy : ville moyenne repliée dans ses remparts, elle est devenue communauté urbaine de Lille sous la présidence d’Arthur Notebart pour devenir une eurométropole – métropole européenne de Lille (MEL) – inscrite dans une région élargie : les Hauts-de-France. Comment pouvons-nous tirer parti de cette métamorphose territoriale à l’ère des mobilités ? Je voudrais souligner, à ce propos, la vitalité du tissu associatif lillois. Hier après-midi, en participant au forum des associations et du bénévolat organisé par la ville de Lille, plus de 200 associations à découvrir étaient présentées au public qui circulait entre les stands dans les domaines d’activité les plus divers : culture, loisirs, solidarité, action internationale, éducation, formation, citoyenneté, santé, sport, etc.

  4. Développer les partenariats avec notamment le Forum départemental des sciences (les énergies collectives) ; l’association L’Esprit d’Archimède (ALEA) (le temps, les couleurs, les croyances, les énergies, les inégalités, etc.) ; la Maison des sciences de l’homme ; Citéphilo ; l’université du temps libre, etc. Il nous faudra prendre des initiatives, expérimenter et évaluer des projets. C’est ainsi que j’ai été associé, l’an passé, avec d’autres membres du CA de l’UPL, à une tentative de rapprochement avec la maison Folie Moulins de Lille, grâce au concours de notre secrétaire générale, Marie Cauli, en vue de faire le lien avec un public d’adultes et de seniors qui n’était pas a priori sensibilisé à un espace de découverte de notre patrimoine muséal, favorisant ainsi une appropriation culturelle sur plusieurs générations. La difficulté est d’attirer de nouveaux profils d’auditeurs et d’auditrices en sachant que le public est de moins en moins captif, mais de plus en plus volatil et exigeant. La réponse à cette question implique non seulement la capacité à développer des actions de lutte contre l’illettrisme mais aussi de contribuer à réduire « la fracture numérique24 ». Telles devraient être les missions prioritaires des universités populaires de France.

  5. Revoir notre modèle économique. Notre président, Bernard Delforce, rappelait récemment dans une note interne que notre modèle est mutualiste et non marchand. Je crains que dans l’avenir nous ne soyons pris dans un effet de ciseaux : diminution des subventions en coût constant et augmentation du prix de la location des salles. Il faudra donc rechercher d’autres sources complémentaires de financement (appel à un plus grand nombre de donateurs, répondre à des appels d’offres sur projets, etc.) en n’oubliant pas une valeur essentielle : la générosité. Dans l’une de ses interventions à l’UPL, Alain Caillié (chef de file des convivialistes) nous avait expliqué que le don était à la base de la structuration sociale et culturelle de toute société : « demander, recevoir, donner et rendre ».

  6. Imaginer une nouvelle gouvernance. Face à la verticalité du savoir et du pouvoir (modèle traditionnel du xxe siècle), comment mieux faire circuler les responsabilités en fonction de la disponibilité et des talents de chacun·e ? Tout est affaire de pédagogie et de « bonne volonté25 ». Un·e président·e, quel que soit son charisme personnel, ne peut plus arbitrer ou piloter seul·e une organisation parce qu’il ou elle ne dispose pas de toutes les compétences. Il ou elle doit savoir s’entourer d’une équipe motivée et disponible. À ce propos, il est juste de souligner le rôle éminent joué pendant tant d’années auprès de plusieurs présidents consécutifs, par Michèle Rotsaert, secrétaire générale de l’UPL récemment distinguée et promue vice-présidente de l’UPL. Il est probable que ces fonctions exigeront de plus en plus de disponibilité, de compétence et de dévouement, notamment pour des activités de représentation et de communication publique. Ces dernières années, nous avons progressé, notamment grâce à l’appui technique d’Yves Faure pour la présence sur les réseaux sociaux, ou encore l’actualisation du site Internet. Toutefois, il me semble que nous avons encore des marges de progrès pour ancrer notre image dans les médias, trop de Lillois ignorent complètement notre existence.

  7. Renforcer l’attractivité de l’UPL. Par exemple, en prenant une place reconnue dans le mouvement des universités populaires en France et en Europe pour échanger des « bonnes pratiques ». Le colloque international de Cerisy-la-Salle dirigé par Gérard Poulouin26 a montré l’extrême diversité des universités populaires en France et dans divers pays, d’où la nécessité de bien communiquer sur notre identité institutionnelle. Je suggère une simple proposition à explorer : notre UPL n’a pas de nom, pourquoi ne pas lui attribuer le nom du bâtonnier Jean Lévy, par exemple ? Le lien avec la médiathèque de Lille du même nom aurait tout son sens.

  8. Cent-vingt ans. C’est l’horizon d’une vie complète (Jeanne Calment). Vieillir n’est pas un naufrage ! Grandir, c’est vieillir, vieillir c’est grandir. Assumons la longévité par l’intergénérationnel (institut Pasteur de Lille : 120 ans !)27. Bref, « l’UPL 120 » devrait être un médicament de prévention du vieillissement remboursé par la Sécurité sociale ! En cette journée nationale des aidant·es, c’est le moment de réaffirmer la solidarité active entre les générations et la nécessité de prendre en compte les besoins culturels des personnes avancées en âge, comme le fait de manière remarquable le centre Huriez du centre hospitalier régional et universitaire en partenariat avec Citéphilo pour les patient·es. C’est la dimension inclusive de l’université populaire que nous pourrions approfondir dans les années à venir. Dans la perspective d’une société de vies complètes notre objectif c’est de servir l’espérance de vie en bonne santé de nos adhérent·es, c’est-à-dire donner du sens à la vie à toutes les étapes de notre existence.

  9. Jusque dans un passé récent, l’offre culturelle de l’UPL a plutôt été adossée à l’expertise de l’université Lille 3 « Lettres, arts et sciences humaines » que celle des universités Lille 2 « Droit et santé » et Lille 1 « Sciences et technologies ». En ma qualité de président de l’Association ALEA (L’Esprit d’Archimède), je crois pouvoir affirmer que le monde du xxie siècle, tel qu’il nous transforme aujourd’hui, doit beaucoup au progrès sans cesse croissant des sciences et des techniques et qu’il serait opportun d’en prendre la mesure sans pour autant rabattre ses effets sur « les dégâts du progrès » d’un nouvel âge industriel. Les opportunités de ce nouveau monde sont immenses et devraient libérer nos énergies et notre imagination.

  10. L’université populaire de Lille, adossée sur trois siècles, offre une singularité exceptionnelle dans le paysage culturel de la France contemporaine. On m’objectera : le qualificatif de « populaire » n’est-il pas trop lourd à porter ? Le Petit Robert de la langue française fait état d’une multitude de significations : qui appartient au peuple ; démocratique et socialiste (Front populaire) ; propre au peuple et qui n’est guère en usage dans la bourgeoise et parmi les gens cultivés (bon sens populaire) ; à l’usage du peuple et qui s’adresse au peuple (chansons, spectacles, arts) ; qui se recrute dans le peuple (milieux, couches et classes populaires) ; plébéien (quartier populaire, bal populaire, soupe populaire). Au total, nous retenons la signification de 1559 : « Qui plaît au plus grand nombre28. » Le qualificatif de « populiste » est, bien évidemment, un contresens démagogique total au regard des finalités éducatives de l’UPL 120 qui visent l’excellence académique pour tous.

On le voit, L’UPL est sans conteste l’héritière d’un « humanisme des Lumières », tout en étant un lieu d’échanges et de débats pour un public urbain, cultivé, désirant mieux appréhender les enjeux du futur. À chaque génération ses défis dans le passage de témoin. Laissons le dernier mot à Jacques Chaban-Delmas, apôtre de la « nouvelle société » qui affirmait le 19 septembre 1969 à la tribune de l’Assemblée nationale : « Ou nous sommes capables d’avoir 20 ans, et tout est possible ; ou nous avons notre âge, et il n’y a plus d’espoir. »

Et pour ne pas conclure en ouvrant le débat avec la salle : garder le sens de l’humour, de l’envie d’apprendre, du plaisir du partage et de la joie de transmettre aux générations futures. Je vous remercie pour votre attention.

Lille, 7 octobre 2019

Notes

1 Martine Aubry, 2011, Préambule à un cycle de conférences les « Savoirs citoyens ? » (mars 2011), Lille, Ville de Lille, en partenariat avec l’université populaire de Lille, Maison européenne des sciences de l’homme et de la société, Citéphilo et université du temps libre.

2 Texte d’une conférence inaugurale (saison 2019-2020, université populaire de Lille du 6 octobre 2019, Lille, quartier de Fives, salle A. Colas) dédiée à Madame Martine Aubry, maire de Lille (voir Martine Aubry, 2006, Lille solidaire : un art de vivre ensemble, compte–rendu de la conférence du 17 janvier à l’UPL, Lille, Ville de Lille), et à ses prédécesseurs qui ont soutenu sans relâche l’œuvre éducative de l’université populaire de Lille, et tout spécialement Pierre Mauroy (voir Pierre Mauroy, 1993, Lille : l’histoire d’une métamorphose… où en sera la Métropole en l’an 2010, compte-rendu de la conférence d’ouverture à l’UPL, Lille, Ville de Lille).

3 Je livre quelques fragments autobiographiques pour les lectrices et lecteurs qui éclairent mon rapport singulier à l’UPL. J’ai rejoint l’université populaire de Lille au tout début des années 1970, un peu avant ma première inscription comme étudiant à l’université de Lille 3, où j’ai effectué la plus grande partie de ma carrière professionnelle. À raison d’une conférence sur deux ou trois selon les années, je totalise aujourd’hui plusieurs centaines de conférences en qualité d’auditeur et trois en tant que conférencier (dont celle d’aujourd’hui) au titre d’invité à la tribune de l’UPL L’éclectisme de l’offre culturelle de l’UPL a dû beaucoup compter dans ma formation intellectuelle. C’est probablement l’un des facteurs qui explique que je sois reconnu aujourd’hui par mes pairs comme un « homme de dictionnaire à l’esprit encyclopédique ». D’une certaine manière, je paye ma dette aujourd’hui à l’UPL en reconnaissant publiquement son apport exceptionnel dans ma formation intellectuelle et humaine par les nombreux contacts qu’elle m’a permis d’avoir, bien au-delà de mon appartenance familiale, sociale et géographique d’origine.

4 Lettre du maire de Lille, Gustave Delory, en date du 29 janvier 1900 au préfet du Nord, Louis Vincent, approuvant la création de « l’université populaire de Lille ». L’UFJ : section d’Instruction publique et d’éducation populaires fondée en 1875, reconnue d’utilité publique par décret présidentiel du 12 mai 1893. C’est le plus ancien institut de formation permanente de France. La section de Lille est présente à l’Exposition universelle de 1900. Depuis près de cent-quarante-cinq ans, l’Union française de la jeunesse est une association de formation permanente qui se donne pour objectif de s’adresser au plus grand nombre avec une visée de réduction des inégalités sociales dans le domaine de la formation tout au long de la vie.

5 Charles Debierre (1853-1932). Voir Daniel Morfouace, 1993, Chroniques d’une loge lilloise, t. I, 1893‑1940, Lille, Association Charles Debierre.

6 Voir le texte de présentation de la Société géologique du Nord de Francis Meilliez, 2019 [en ligne].

7 Archives de l’université populaire de Lille. Contact : www.universitepopulairedelille.fr. Henri Spriet, avocat lillois, a reçu comme stagiaire le jeune Jean Lévy, l’a formé pendant plusieurs années, lui accordant des facilités pendant la guerre. Par la suite, Lévy devait garder un contact étroit avec le bâtonnier Spriet. « Mon beau-père a fortement encouragé J. Lévy à se porter candidat à la Présidence de l’UPL car il semblait douter de lui-même. » (Témoignage de H. Spriet, interviewée à son domicile, Lille, janvier 2020.)

8 Propos attribué à Gabriel Séailles, professeur de philosophie. Cité dans : Alain Lottin (éd.), 2001, L’Université populaire de Lille : un siècle d’histoire, 1900-2000, Lille, La Voix du Nord & UPL, p. 78.

9 Carole Christen & Laurent Besse (dir.), 2017, Histoire de l’éducation populaire : 1815-1945. Perspectives françaises et internationales, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.

10 Voir Francis Danvers, 2017, in « Comptes rendus », Revue du Nord, no 422, p. 830-836 [en ligne].

11 Jean-Claude Allard, 1975, L’Union française de la jeunesse : 1875-1975. De l’instruction et de l’éducation populaires à la formation permanente, Lille, UFJ, p. 20.

12 Les travaux de Christoph Wulf, fondateur de l’anthropologie historique et culturelle à la Freie Universität de Berlin, démontrent l’importance des rites et de la performativité de la ritualité dans la vie sociale. Voir Francis Danvers, 2003, 500 mots-clefs pour l’éducation et la formation tout au long de la vie, Lille, presses universitaires du Septentrion.

13 Les conférences de l’UPL se sont toujours tenues au centre de Lille, dans un cadre remarquable, non sans difficulté, ni changement, mais toujours avec le soutien de la municipalité lilloise. L’horaire dominical est resté stable : ouverture des portes à 10h00 et conférence à la tribune de l’UPL de 10h30 à 12h00. Le public dans la salle pose rarement des questions. Plusieurs centaines de personnes immobiles et attentives créent une atmosphère silencieuse qui impressionne tout·e conférencier ou conférencière qui doit se plier aux exigences d’un art oratoire sans faille pendant 90 minutes.

14 Jeremy Rifkin, 2012, La Troisième Révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Paris, Les Liens qui libèrent.

15 Hannah Arendt, 2016, « La crise de l’éducation », dans Hannah Arendt, La Crise de la culture. Huit exercices de pensée politique [1972], Paris, Gallimard, « Folio Essais », p. 223-252.

16 Collectif Degeyter, 2017, Sociologie de Lille, Paris, La Découverte.

17 Jean Baudrillard, 1970, La Société de consommation, Paris, Gallimard.

18 Les chiffres fournis par Jean Lévy n’ont pas été vérifiés. Le trésorier de l’époque est décédé. Il est vraisemblable qu’ils étaient surestimés à une certaine période, comme pouvaient le faire des associations désireuses d’obtenir des subventions.

19 Alain Natali, 2012, « Préambule d’ouverture de la saison 2012-2013 de l’université populaire de Lille », Lille, Université Populaire de Lille.

20 Gérard Noiriel, 2019, « Éric Zemmour légitime une forme de délinquance de la pensée », Le Monde, 8 septembre 2019.

21 En dépit de son ancienneté et de son audience régionale, l’image de l’université populaire de Lille est relativement discrète, si l’on en croit l’enquête du journal Le Monde du 13 janvier 2005 : « Les universités alternatives prospèrent sur la soif de savoir » où l’UPL n’est pas mentionnée… ce qui a entraîné une vive réaction du professeur Philippe Guignet, vice-président de l’UPL (lettre à Jean-Marie Colombani, directeur du journal Le Monde, en date du 7 février 2005). Sous la présidence de Jacquie Buffin à compter d’avril 2006, un effort particulier dans le domaine de la communication en direction de nouveaux publics semble avoir porté ses fruits, en valorisant mieux une offre culturelle davantage structurée. Le nombre des adhésions a sensiblement augmenté, pour passer de 982 en 2005-2006 à 1143 en 2006-2007, et atteindre 1700 adhérent·es à la fin de la saison 2007-2008.

22 Condorcet, 1994, Cinq mémoires sur l’instruction publique [1791], Charles Coutel et Catherine Kintzler (éd.) Paris, Gallimard, p. 104.

23 Le projet présenté par Marie Cauli, accompagnée de Christophe Mondou, vice-président de l’université de Lille, a reçu l’assentiment du CA de l’UPL par un vote majoritaire en date du 7 octobre 2019.

24 Jacques Toubon, 2019, Rapport annuel d’activité du défenseur des droits, Paris, Défenseur des droits, p. 8 [en ligne].

25 Jean Levy avait un temps imaginé démultiplier son activité en offrant la possibilité aux auditeurs et auditrices de l’UPL d’acheter les enregistrements sonores des conférences, sous la forme de cassettes vendues au public. De même, au printemps, des voyages culturels en autocar au sein de l’agglomération lilloise étaient organisés, mais très vite des difficultés d’organisation apparurent ; cette expérimentation ne fut pas renouvelée.

26 Gérard Poulouin (dir.), 2012, Universités populaires hier et aujourd’hui, actes du colloque de Cerisy-la-Salle, Paris, Autrement. Sur l’université populaire de Lille, voir p. 85-97.

27 Voir par exemple Martine Aubry, 2003, L’Importance c’est la santé, Paris, L’Aube ou, sur la santé globale, Marie Cauli (dir.), 2019, Dictionnaire francophone de la responsabilité sociale en santé, Rennes, PURH.

28 Le Petit Robert de la langue française, 2020 [1967], article « populaire », p. 1964.

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Référence électronique

Francis Danvers, « Les 120 ans de l’université populaire de Lille (UPL) : vers quels horizons ? », Pratiques de formation/Analyses [En ligne], 67 | 2023, mis en ligne le 01 septembre 2023, consulté le 21 novembre 2024. URL : https://www.pratiquesdeformation.fr/348

Auteur

Francis Danvers

Professeur émérite de l’université de Lille SHS, vice-président de l’université populaire de Lille (UPL)