Faire de la formation dans une association d’éducation populaire

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Nous avons reçu l’appel à contributions de Pratiques de formation/Analyses par l’intermédiaire du Réseau des Créfad1, réseau d’associations d’éducation populaire dont notre association est membre. Cet appel a été un beau prétexte pour que notre équipe se réunisse et raconte ce que cela voulait dire, pour chacune de nous, de faire de la formation dans une association d’éducation populaire. « Nous », ce sont les trois membres permanentes de l’association « entre-autres ». Celle-ci existe depuis huit ans, elle est installée dans le Bugey (Ain) et voyage beaucoup en France. Notre élan et nos interrogations portent sur la façon dont on travaille ensemble, à l’échelle locale, nationale ou internationale. Cela se décline en des formations plurielles, colorées par nos parcours dans le monde de la sociologie des organisations, des sciences politiques et du genre. Voici des bribes d’échanges, incomplètes, écrites à six mains, que nous souhaitons partager avec les lecteurs et lectrices de la revue.

Savoir, transmettre, pouvoir

« – Dans nos formations, on tente de poser un cadre suffisamment solide et confiant pour que chacun·e se sente capable de contribuer et de participer à la construction d’un savoir collectif. On pourrait dire que notre principe, c’est celui de l’égalité des intelligences. Mais souvent, je suis dans une posture de sachante, de formatrice qui sait et qui explique.

– Moi aussi, je suis dans l’explication mais cela n’entre pas en contradiction avec le principe que chacun·e a quelque chose à apporter. Je contextualise mon point de vue, j’explicite les grilles d’analyse que je vais mobiliser, les aspects que je maîtrise… Et puis surtout, j’ouvre la possibilité à d’autres de le faire et je ne m’empêche pas de donner mon opinion ! Par exemple, pendant une formation sur la laïcité, on décortique un texte de loi ensemble, puis on en parle, on partage nos ressentis, nos connaissances historiques et juridiques.

– Je me souviens que lors d’une formation de formatrices au Planning familial, des participantes estimaient que faire de l’éduc’ pop’, cela voulait dire créer des espaces interactifs dans des moments de formation, mais surtout pas de transmettre des savoirs de manière “descendante”. Pour elles, c’était contradictoire avec l’éducation populaire. J’imagine que c’est en réaction à l’Éducation nationale, l’envie et le besoin de proposer des manières différentes de transmettre des savoirs.

– Pour moi, ce n’est pas contradictoire. L’égalité des intelligences, ce n’est pas l’égalité des savoirs. Si j’ai travaillé pendant des années sur un sujet, j’estime avoir quelque chose à en dire, et pouvoir choisir une méthode participative ou magistrale pour le transmettre.

– Oui, et puis, même sans être dans l’explication, à partir du moment où tu définis des objectifs de formation, un déroulé, des temps de travail, des documents à lire et à discuter, cela sera peut-être participatif mais c’est bien une forme de contrôle de la formatrice : “ Je vous emmène là où je veux aller.”

– Ce qui fait la différence, c’est un effort de transparence à travers lequel je dis aux participant·es où je situe mon point de vue, où j’affirme que j’ai déformé et reformé ce que je transmets. Le contenu que j’explique n’est pas neutre et je le dis. Et puis je donne aussi mes références et d’autres. »

La forme de la formation

« – Je me rends compte qu’on est plutôt frileuses à repenser la forme de nos formations. On a du mal à proposer des formations différentes, accueillantes, impliquantes, qui sortent du cadre 9 h-17 h en salle de classe, avec prises de notes dans son cahier – voire son ordinateur pour les formations à la fac ! Du coup tu ne vois pas les gens qui sont cachés derrière leur écran. C’est vraiment chiant !

– C’est sûr ! Je me surprends moi-même à être frustrée quand je vois qu’aucun·e participant·e ne prend de notes ! Je me dis : “Si j’avais un Powerpoint, les personnes prendraient des notes.” Ce n’est pas très réjouissant d’imaginer la formation comme ça !

– Quand j’ai animé la formation sur la sociologie des organisations, j’avais justement préparé un Powerpoint. Un participant m’a demandé si j’allais leur envoyer ou s’ils devaient prendre des notes. J’ai remarqué que quand il y a des supports, les personnes adoptent une posture passive. Je ne sais pas, si moi je voudrais qu’ils écrivent mais j’observe cette démobilisation. Ça me gêne, ce côté “consommation de la formation” ou passivité.

– Moi, on m’a déjà dit que les formations que j’animais “manquaient de théorie et de savoirs”, qu’il y avait trop d’échanges de pratiques. Cela me questionne. Comment signale-t-on ce qu’est un savoir ? Comment montre-t-on qu’un savoir n’est pas seulement quelque chose qui est écrit sur un diaporama mais aussi les analyses que je vais tirer des échanges ? Alors maintenant, je fais souvent un “moment Powerpoint” pour présenter les conclusions ou les idées qu’on a partagées, et qu’il me semble intéressant de garder.

– Je me souviens d’une formation qui se déroulait dans un salon, autour d’une table basse, avec des gâteaux et des boissons, et uniquement des participant·es qui se connaissaient. C’était très confortable, presque trop ! Cela faisait “salon de thé” où on partageait des anecdotes. J’essayais tant bien que mal de revenir au contenu mais l’ambiance ne s’y prêtait guère. Alors, est-ce qu’il faut forcément des tables et des chaises inconfortables pour être studieux et studieuses en formation ?

– Ah oui, ce fameux truc de la convivialité des formations dans les associations d’éducation populaire ! C’est incontournable ! Tout comme certaines évidences sur le déroulé : un moment où on va poser le cadre de sécurité, des tours météo, des temps d’inclusion et de déclusion, des discussions sur le prix libre et éclairé… et je vois bien que s’il n’y a pas tout ça, certain·es perdent confiance.

– Un jour, en formation, j’animerai un temps sur nos représentations de la bonne formatrice et des bon·nes participant·es, sur nos attentes et nos besoins les un·es envers les autres. »

Comment déjoue-t-on l’impuissance pour s’approcher de la finalité qu’on souhaite donner à nos formations ?

« – Notre finalité en formation, c’est de créer des espaces pour permettre aux personnes d’analyser leur situation et d’agir sur elle individuellement et collectivement. Les partages d’expériences sont un moment de « vidange ». On se raconte nos galères. Après cela, on peut construire l’analyse, trouver du commun dans nos colères, puis voir en quoi elles sont systémiques. Mais il me semble que c’est de plus en plus difficile d’identifier des marges de manœuvre...

– Oui cela me fait penser à une participante qui disait : “Il y a des dispositifs. Les dispositifs, on n’a pas la main dessus. Institutionnellement, le dispositif est fait comme ça et on va passer à côté de notre public. Mais on ne peut pas contourner le dispositif.” Il y a cette impression que les marges de manœuvre s’amenuisent, voire disparaissent. Est-ce qu’on peut toujours agir ? Est-ce qu’on a autre chose à proposer qu’une lecture systémique ?

– On ne peut peut-être pas empêcher les gens de repartir avec un constat d’impuissance. Mais peut-être que j’aurais pu prévoir un espace à la fin pour désamorcer ou exprimer ces sentiments ?

– On n’a pas de prise sur ce avec quoi les gens repartent. C’est intéressant de garder ça à l’esprit. En revanche, il nous appartient d’ouvrir des espaces pour que les personnes puissent réfléchir à ce qu’elles gardent de ces formations et à ce qu’elles peuvent en faire. Et cela produit souvent des trucs inattendus ! »

Notes

1 Centres de recherche, d’étude, de formation à l’animation et au développement.

Citer cet article

Référence électronique

Charlotte Dementhon, Claire Ichou et Jeanne Gilbert, « Faire de la formation dans une association d’éducation populaire », Pratiques de formation/Analyses [En ligne], 67 | 2023, mis en ligne le 01 septembre 2023, consulté le 10 novembre 2024. URL : https://www.pratiquesdeformation.fr/380

Auteurs

Charlotte Dementhon

Formatrice à l’association entre-autres

Claire Ichou

Formatrice à l’association entre-autres

Jeanne Gilbert

Formatrice à l’association entre-autres