Ce livre, atypique par sa forme – un A5 format paysage – et par l’usage de l’expression « en voisinant » dans son titre, surprend par sa simplicité et questionne par sa démarche. Où y distinguer la recherche explicitement énoncée, avec ses concepts, ses schèmes, ses théories ? Comment le sociologue Pascal Nicolas-Le Strat fait-il recherche ici ? Que lui apporte le voisinage ? Comment travaille-t-il exactement ? Quel type de production vise-t-il ? Pourtant, en même temps que s’installe ce questionnement, l’auteur nous invite à emprunter ses pas, à essayer de comprendre et à émettre des hypothèses.
Les descriptions du texte et les nombreuses images aident à se représenter ces lieux globalement inconnus pour certain·es, et certainement, pour toutes et tous, dans leurs recoins. Surtout, la démarche de l’auteur devient progressivement familière. Provisoirement en exil, en cours d’installation sur un site en transformation, dans les locaux tout neufs de La Plaine Saint-Denis, émergés de ruelles tortueuses, il observe : les usines en contrebas, les activités informelles directement dans la rue, la voie d’un chemin de fer fantôme et, en opposition, le neuf qui s’élève. Il écoute les habitants, principalement des gens au travail, présents en journée, qui échangent quelques mots et parfois disent quelque chose d’eux ou racontent quelques moments d’ici. Les rencontres sont assez rares au début, davantage provoquées ensuite. La description des lieux, omniprésente, tient le plus de place. Cette étude a pour objet « l’habiter ».
Traverser ou habiter ? « Voisiner » : quel sens ici pour ce néologisme ? Voisiner, n’est-ce pas demeurer celui d’à-côté ? Celui qui vient, va, passe et repasse mais, toujours, reste l’autre, le voisin, celui d’à-côté ? Il est aussi beaucoup question de déplacements dans le livre de Pascal Nicolas-Le Strat : sous la forme de marches, seul ou partagées avec un doctorant, en étoile ou de façon curriculaire, depuis le nouveau bâtiment de l’université. Dans quel objectif cependant : découvrir les lieux, y être introduit par ses habitant·es, les fixer dans sa mémoire ? Faire recherche : est-ce cela, tout simplement ? Ou bien quels autres éléments d’arrière-plan sont aussi à découvrir à travers les pages de Faire recherche en voisinant ?
Alors, pourquoi ne pas cesser de déambuler et se poser, le temps d’une recherche ? À ce point, la narration a déjà embarqué le lecteur et l’ouvrage devient un récit de voyage, avec ses images, ses éléments contextuels et ses anecdotes, avec ses relevés scientifiques aussi. Pourtant, les pages 39 à 47 marquent une rupture. D’une part, parce que Pascal Nicolas-Le Strat y explicite sa démarche, qui permet notamment de faire émerger l’ordinaire et de préserver le discours des biais présents dans les situations et les outils de recherche. D’autre part, ces pages rendent compte du moment où l’auteur, s’installant dans son nouveau bureau du Campus Condorcet, devient alors vraiment « voisin » de ses collègues, mais aussi de deux voisins rencontrés à l’occasion de ses pérégrinations dans le quartier et maintenant invités dans son bureau. C’est alors également le moment où « l’écriture elle aussi se relance, reprend ses droits et retrouve le chemin de ses mots » (p. 46).
Les rencontres se font, les lieux se dessinent, le temps long introduit des changements et le temps court de la recherche devient lui-même objet. À la Plaine Saint-Denis (Aubervilliers et Saint-Denis), les voisins des nouveaux bâtiments, comme leurs premiers occupants, sortent de l’anonymat. Témoins, acteurs et actrices de ces lieux de mémoire informels, ils sont là dans ce temps court de la page qui se tourne au moment de la transformation du territoire. Ils relatent comment l’habitant·e s’adapte lorsque le changement opéré en lien avec la décision politique ne tient pas compte de tout et entraîne de nouvelles configurations spatiales et sociales. Ainsi, alors que le parcours commémoratif des lieux et bâtiments emblématiques de la ville de Saint-Denis s’arrête officiellement au stade de France, à l’endroit de sa vingtième borne, une vingt-et-unième borne a pourtant été installée à l’intérieur de la Maison des sciences de l’Homme, avec les étudiants, prolongeant de la sorte cet itinéraire des hauts lieux dionysiens. Ce que Pascal Nicolas-Le Strat nous donne à voir dans cet ouvrage, c’est ce qui traverse et demeure, ce qui persiste et qui relie, dans ces espaces marqués par l’épaisseur du temps et pour toujours riches de leurs multiples territoires.