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L’éducation sentimentale : sens, interdisciplinarité et perspectives éducatives

Plan

Texte

Préalable de l’être humain sentimental ou des preuves de zoomorphisme

Le sentimental résonne le plus souvent dans le registre de l’amour. Nous pourrions d’ailleurs dire que l’homme et la femme montrent des signes de zoomorphisme dans son rapport à l’être aimé. En effet, amourette, séduction, jalousie, rivalité existent chez les animaux1. Chez nos amis à plumes, à la saison des retrouvailles et de la nidification, les cigognes craquettent de doux mots d’amour. Les tourterelles roucoulent. La perdrix ou le faisan chante tandis que le merle siffle entrouvrant ses ailes. Les albatros se démarquent dans leur espèce par leur fidélité dans leur couple2. Chez les animaux, le brame du cerf n’est autre que le cri guttural du mâle cherchant une femelle. D’autres, comme le chamois, attirent l’attention des femelles en frappant le sol avec leurs pattes et gonflant les lèvres allant jusqu’à faire naître des rivalités entre les partenaires. Le baiser, marque d’un sentimental amoureux, existe chez les animaux comme chez les tortues qui colleront leur tête l’une contre l’autre, ou encore le rapprochement du museau chez les écureuils3. Les singes, plus proches de l’homme, ont des gestes semblables aux nôtres comme des entrelacements, des caresses, des baisers4. L’être humain ne serait pas le seul concerné par le sentimental amoureux, qui aurait une envergure bien plus large dans le vivant.

Si aujourd’hui le sentimental révèle des sensibilités amoureuses, qu’en est-il de son sens d’antan ?

Le sentimental : sens et étymologie

Entre la 6e à la 8e édition du Dictionnaire de l’Académie française, soit de 1835 à 1935, le terme sentimental est noté comme adjectif utilisé pour désigner « là où il y a du sentiment, qui annonce du sentiment. Il ne s’emploie guère qu’ironiquement5 ». En tant que nom, il se référait aux « personnes qui affectent une grande sensibilité ». Dans l’édition actuelle (la 9e), le mot sentimental est défini comme ce « qui a trait aux sentiments, aux liens affectifs et, en particulier, amoureux » ou « qui, dans ses propos, dans son comportement, se laisse guider par ses sentiments6 ».

L’étymologie du mot relève son origine anglophone, soulignée dans le Dictionnaire étymologique de la langue française datant du xviiie siècle. Il y est précisé que le « “Le mot anglais sentimental n’a pu se rendre en français par aucune expression qui pût y répondre, et on l’a laissé subsister”. Le mot anglais, qui était alors récent, se rattache lui-même au français sentiment 7». C’est dans l’ouvrage A Sentimental Journey through France and Italy8 de Laurence Sterne qu’il fut utilisé pour la première fois. L’écrivain irlandais y livre ses aventures amoureuses sous le personnage de Yorick. Le sentimental est présent dans l’expression des sentiments personnels du sujet décrivant son voyage sous une approche « sentimentale ». Tout cela nous amène à nous interroger sur la nature du « sentimental » : est-il un genre littéraire, et quelle discipline circonscrit ce concept ?

Le sentimental, genre littéraire et littérature scientifique

Le roman sentimental est un genre littéraire du xviiie siècle qui délivre des histoires d’amour dans lesquelles les lecteurs se projettent dans les personnages ou revivent leurs premières expériences amoureuses. Ce genre littéraire est souvent critiqué pour alimenter les stéréotypes de l’amour avec des protagonistes un peu trop idéalisés confrontant ainsi « l’immatérialité » de la production à la « matérialité du monde au sein duquel il s’énonce9 ». Son originalité repose sur le travail scriptural de la mise en récit de l’intrigue pour maintenir l’intérêt du lecteur. Dans l’histoire de la littérature, La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau a marqué l’ouverture d’une période où la mode était aux récits sentimentaux. Durant un siècle (1761-1869)10, le genre se constitue et des productions succèderont à celle de Rousseau, tentant de reproduire le style. Certains connurent un grand succès, à l’instar de Sophie Cottin dont le roman épistolaire Claire d’Albe fut salué par Victor Hugo11. Au xixe siècle, le sentimental paraîtra sous la plume de Stendhal, Honoré de Balzac, ou encore George Sand. Gustave Flaubert marquera le genre sentimental en se mettant en marge avec son troisième roman, L’Éducation sentimentale, critiqué pour son manque de suspens et la représentation d’un amour inassouvi. De ce fait, même si ce genre semble avoir subi un essoufflement, le sentimental demeure un objet, un concept mis en discussion en sciences humaines et sociales.

Plusieurs disciplines trouvent matière à s’exprimer sur le sentimental, telles que la psychologie12, la philosophie, l’anthropologie travaillant entre autres les concepts de l’amour, de l’amitié, les sentiments qui lient l’enfant à l’adulte, les relations à la famille, aux autres et au monde. Les références scientifiques que nous allons présenter ne prétendent pas représenter une généralité concernant la question du sentimental dans chaque discipline. Elles se situent plutôt comme des repères de travaux qui ont interrogé la place et l’importance du sentimental dans leurs disciplines respectives, et elles ne constituent pas une étude exhaustive de la littérature scientifique ni ne prétendent couvrir tous les angles et toutes les perspectives. Elles servent de points de départ ou approfondissement à toute réflexion autour d’un sentimental à la fois évident et complexe. Chaque auteur apporte sa propre vision, ses propres questionnements et réflexions sur le sentimental. Ces travaux ont contribué à enrichir notre compréhension et à élargir notre perspective, tout en gardant à l’esprit que d’autres voix et d’autres approches existent également.

La psychologie des sentiments, ou psychologie affective, a pour fondateur Théodule Ribot13, premier enseignant français de psychologie à la Sorbonne. Ribot a occupé une chaire de psychologie expérimentale au Collège de France (1888-1902) et a écrit de nombreux ouvrages, dont La Psychologie des sentiments14. Ses travaux visaient à légitimer l’étude des sentiments et des émotions et à « montrer que le sentiment est un fait primitif qui ne se ramène à aucun autre15 ». Ribot a tenté d’identifier une mémoire des sentiments et des émotions qui ne met pas en travail des représentations intellectuelles. Il travailla ainsi sur le souvenir de sensations (le plaisir, la douleur, les goûts, l’odorat) ou encore celles suscitées par la musique instrumentale. En philosophie, le sentimental est illustré dans les dialogues de Platon autour du désir qui naît du manque, de l’Amour16 dans la quête de complétude, du bonheur véritable et la morale qui fait la médiation entre la raison et le désir. Jean-Jacques Rousseau souligne l’importance des sentiments dans l’éducation de l’homme et de la femme à travers le concept de l’être humain naturel. Selon lui, les lieux du bonheur sont représentés par la perfectibilité, la vérité, les espaces naturels sur lesquels repose la définition de la notion de nature. Il fait l’hypothèse que « les premiers mouvements de la nature sont toujours droits : il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain17 ». C’est donc en agissant dans et par la nature que l’être humain parvient à la compréhension de soi et du monde.

Qu’en est-il de la place du sentimental en anthropologie et notamment la question de la subjectivité de l’ethnologue ? Monique Jeudy-Ballini, ethnologue, interroge « les manières de sentir18 » dans l’étude des groupes. À partir de ses travaux sur la culture sulka19, elle explique que dans cette population la compréhension du fonctionnement des sentiments reste difficilement accessible même si leur expression est totalement libre. Elle souligne que la différence culturelle joue un rôle sur l’explicitation des sentiments vécus. À titre d’exemple elle explique que, s’il semble évident de discuter du sentiment de solitude dans l’ethnologie de la vieillesse en France, à l’inverse l’analyse des sentiments au sein de la vie sociale de la population en Océanie n’est pas une nécessité et doit éviter de tomber dans les préjugés ou jugements implicites20. Dans cette discipline, le recours à la psychanalyse pour interpréter des données est un fait courant, l’ethnologue Arnold Léonard Epstein21 en serait un bon exemple.

La sociologie a longtemps semblé distante de ce qui relève des sentiments ou des émotions. Il existe bien des sociologues qui se sont saisis du sentimental comme objet sociologique à l’image de Luc Boltanski22 qui a étudié la gestion du sentiment d’injustice et les actions menées par les personnes pour obtenir réparation ou « se faire justice ». De son côté, le sociologue italien Francesco Alberoni a conduit des recherches sur la nature de l’amour, notamment dans l’innamoramento23 qu’il compare à un choc révolutionnaire. Pierre Bourdieu, dans son ouvrage La Domination masculine24, propose une définition de l’amour :

Sorte de trêve miraculeuse où la domination semble dominée []. Il ne se rencontre sans doute que très rarement dans sa forme la plus accomplie et, limite presque jamais atteinte – on parle alors d’« amour fou » –, il est intrinsèquement fragile, parce que toujours associé à des exigences excessives, des « folies » (n’est-ce pas parce qu’on y investit tant que le « mariage d’amour » s’est révélé si fortement exposé au divorce ?), et sans cesse menacé par la crise que suscite le retour du calcul égoïste ou le simple effet de la routinisation25.

Arlie Hochschild est une pionnière dans le domaine de la sociologie des émotions, en particulier avec son livre The Managed Heart traduit en français, trente-quatre ans plus tard, sous le titre Le Prix des sentiments26. Le concept de « travail émotionnel » qu’elle a introduit interroge les émotions des individus dans leur environnement privé ou professionnel et l’influence des règles sociales, entre autres ce qu’elle nomme les « règles de sentiments », telle la tristesse imposée lors des funérailles ou encore l’évidence de se sentir heureux lors d’une fête. Ses travaux ont ouvert la voie à la sociologie des sentiments en examinant comment les rapports sociaux façonnent l’approche du sentimental et la sensibilité des individus, notamment à travers des études portant sur les métiers de service (caissières, hôtesses de l’air, etc.). Hochschild souligne que le déni des sentiments éprouvés et l’absence de réaction dans les situations professionnelles conduisent à une mise à distance de soi : « Lorsque nous n’avons plus accès à nos sentiments, nous perdons un outil fondamental pour interpréter le monde qui nous entoure27. » Ainsi la notion du sentimental est-elle bien ancrée dans les sciences humaines et sociales. Le sentimental suscite un intérêt, anime de nombreuses recherches et transcende les frontières disciplinaires. Bien qu’il puisse parfois sembler un objet complexe, il relie les individus entre eux et au monde qui les entoure.

Éducation sentimentale ou le sentimental dans les sciences de l’éducation

Pour ce nouveau numéro de Pratiques de formation/Analyses, c’est donc la question de la relation entre éducation et sentimental qui retient notre attention. Par définition, les sciences de l’éducation s’appuient sur une pluralité de disciplines des sciences humaines, étudiant l’éducation par des approches multiréférentielles28. L’éducation renvoie à l’action d’élever et de former, dérivé du verbe latin educare signifiant guider, mener ou développer29. En adoptant des approches diversifiées, il est essentiel de comprendre comment les sentiments sont inévitablement intégrés à l’éducation, que ce soit de manière explicite ou implicite. Il est également crucial d’explorer comment l’éducation peut consciemment ou inconsciemment mobiliser les émotions dans le domaine pédagogique, que ce soit dans un contexte scolaire ou dans celui de la formation des adultes, en tenant compte des nombreuses formes d’éducation informelle où les émotions jouent un rôle significatif. En effet, comment se produit l’éducation du corps, de la chair et de l’esprit ? Comment s’éduque-t-on soi-même et les autres aux divers degrés de sentiments ressentis et vécus ? Comment aborder cette expérience complexe d’éducation aux émotions, souvent subtile, mais omniprésente pour chacun ?

Ainsi la problématique de ce numéro est-elle traversée par un questionnement triptyque sur le rôle tenu par le sentimental dans l’éducation :

• dans l’éducation formelle : comment les institutions éducatives (écoles, universités, formation des adultes, éducation populaire) abordent-elles consciemment ou inconsciemment le domaine sentimental ? Quelle est la dynamique de l’affectivité entre élèves et enseignant·es ? Comment la pédagogie prend-elle en compte les émotions ? Quelle importance est accordée à l’éducation aux sentiments dans les programmes éducatifs ? Quel est le rôle du corps dans cette éducation formelle qui implique la sensation, l’expérience et l’expression ? Comment les sentiments influent-ils sur le désir d’apprendre et l’intérêt pour la culture ? Comment les enseignant·es utilisent-ils les émotions des élèves pour atteindre des objectifs pédagogiques, parfois même sur des sujets inattendus comme le patriotisme à la fin du xixe siècle ?

• dans l’éducation informelle : comment les émotions et les sentiments contribuent-ils à notre éducation tout au long de notre vie en dehors des institutions éducatives ? Comment nos liens affectifs envers des lieux, des objets, des œuvres artistiques, des idées philosophiques ou politiques façonnent-ils notre développement personnel ? Comment nos compétences émotionnelles évoluent-elles de l’enfance à la vieillesse, influencées par nos rôles en tant que parents, enfants ou membres d’une fratrie ? Quel est l’impact de l’absence ou du manque d’éducation sentimentale sur notre capacité à ressentir et à comprendre nos propres émotions ainsi que celles des autres ?

• l’éducation sentimentale dans un monde contemporain en évolution : comment l’éducation sentimentale s’adapte-t-elle aux défis de la modernité, notamment avec la présence omniprésente du numérique et son impact sur la sexualité, ainsi que la question du corps dans les interactions sentimentales en ligne ? Comment notre relation aux autres espèces animales évolue-t-elle et quelles en sont les répercussions sur notre sensibilité ? Enfin, peut-on envisager une éducation sentimentale positive et enrichissante pour les temps présents et futurs, en contraste avec le pessimisme de Flaubert dans L’Éducation sentimentale ?

Les quatre rubriques de ce numéro (Recherche ; Cheminements ; Témoignages ; Choses lues, entendues et vues) présentent les réflexions d’auteur·rices, de chercheur·ses, de professionnel·les de la petite enfance, d’étudiant·es, qui partagent leur recherche, leur approche, leur expérience professionnelle et personnelle en rapport avec les sentiments.

À partir d’un travail de synthèse de la littérature sur l’âgisme, Gabriel Allegret, qui publie son texte dans la rubrique Recherches, discute des discriminations et de la stigmatisation de la vie sexuelle et affective des personnes considérées comme socialement vieilles. Il souligne comment ces préjugés sont susceptibles de pousser ces personnes à adopter de nouvelles normes dans leurs vies sexuelles et affectives.

Dans une perspective de philosophie de l’éducation, Sameh Dellai, à travers une lecture non linéaire de Montaigne, analyse la conception montanienne de l’éducation, son lien avec l’intersubjectivité et la réintroduction de la question de l’expérience dans cette conception. L’autrice souligne que, dans cette conception, la rencontre sensible avec autrui se retrouve au cœur de l’expression d’une singularité qui s’inscrit et se sent dans une différenciation.

Pour Alexandre Martin, les apprentissages techniques n’autorisent pas et inhibent certaines émotions, ce qui provoque une négligence des capacités essentielles à toute démocratie, dont la sympathie. Cela pousse l’auteur à proposer un modèle de promotion du sujet fragile basé sur une réévaluation de la vulnérabilité, substituant au sujet contrôlant un sujet poreux. L’auteur, également enseignant de philosophie en classes de terminale, poursuit sa réflexion en partageant une expérience de réévaluation de cette vulnérabilité avec ses élèves à partir de la lecture de l’ouvrage Anima de Wajdi Mouawad.

Sur un registre très différent, Luc Robène et Solveig Serre envisagent la culture punk comme un territoire d’apprentissage de l’éducation sentimentale. Les auteur·rices, à partir d’un corpus de chansons de divers groupes posé dans une perspective socio-historique, mettent en lumière les dimensions éducatives et transformatives du punk, en mobilisant également une approche genrée. Le mouvement punk est ici envisagé comme un cadre légitime, pertinent, sensible et heuristique, pour discuter de ce qui relève de « l’éducation sentimentale ».

Enfin, le dernier texte de la rubrique Recherches est celui de Stéphanie Tabois, qui dans une perspective sociologique discute des lieux de socialisation fréquentés par des polyamoureux et polyamoureuses. À travers la restitution d’une enquête ethnographique, elle montre comment des cafés deviennent des lieux d’encadrement bienveillant du sentiment. Elle s’intéresse également à la production du vocabulaire visant à décrire les situations affectives non monogamiques.

Dans la rubrique Cheminements, Vanessa Paunovitch propose un texte traitant des hallucinations écrites lors des rencontres sur les réseaux sociaux. Cela pose la question de l’amour, du sentiment et de sa formation entre deux êtres qui communiquent de manière virtuelle.

Stéphanie Fribault est enseignante et travaille auprès d’enfants. À travers cette expérience, elle a rencontré des enfants qui avaient vécu la perte d’un être proche, un parent, une sœur, un cousin ou une cousine, parfois dans des circonstances brutales comme le suicide. Elle restitue dans cet article sa réflexion sur la manière dont les enfants peuvent s’exprimer sur la question du deuil durant l’enfance et de sa narrativité, à travers la description et l’analyse d’un dispositif narratif en classe.

Martine Fouquet-Willig, à partir de sa pratique infirmière-puéricultrice, propose un texte sur la petite enfance. Elle y décrit le contexte d’évolution des professions de la petite enfance, puis y montre comment l’implication affective des professionnel·les avec de jeunes enfants évoluant en collectivité est une épreuve qui peut mener à un travail de formation de soi. Ce travail favorise une relation dite « à la juste distance » avec l’enfant, dans une approche qui réhabilite le monde sensible dans les relations à autrui et particulièrement avec les enfants lors des trois premières années de leur vie.

Anne Dizerbo et Dave Bénéteau de Laprairie viennent clore la rubrique Cheminements avec un dialogue réflexif mené à partir de l’expérience d’adoption d’une jeune fille amérindienne, Fleur, par l’auteur. Ce dernier montre les dimensions sentimentales de l’attachement à l’enfant adoptée, les changements que cette adoption a provoqués dans sa relation avec Fleur, et également au niveau personnel dans son statut d’homme et d’étranger dans la communauté.

Dans la rubrique Témoignages, Karine Maccio, aussi poétique qu’impliquée, trace un retour réflexif sur son expérience passée de violences liées au patriarcat, en abordant avec dignité le thème difficile, voire tabou, du viol conjugal.

À la suite de ce texte sont proposés des extraits de la rubrique Quoi de neuf qui, inspirée en partie de l’usage qu’en fait la pédagogie institutionnelle depuis plusieurs décennies, a ouvert les premières réunions de préparation de ce dossier de Pratiques de formation/Analyses. En une minute environ, les membres du groupe de coordination élargi (Lucile Blanchard, Houria Meddas, Jérémy Ianni, Cédric Prédal, Valérie Roy et Christian Verrier) pouvaient partager une préoccupation, un point particulier leur tenant à cœur, relatifs à l’éducation sentimentale tout au long de la vie.

Dans une autre tonalité, Samantha Gahin, Fanny Porot, Paulo Udina et Gladys Virata font état, dans de courtes vidéos, d’une expérience sentimentale et des vertus éducatives qui en découlent : du deuil à son impact à la foi, de la rupture amoureuse au rapport à soi, et de l’attente du devenir parent à son impact sur toute l’organisation d’une vie et de ses propres représentations, ces témoignages de situations singulières rejoignent l’universel.

Barbara Vérité, accompagnée de parents instructeurs et instructrices, livre un texte polyphonique et réflexif sur la place du sentiment dans sa recherche masteurale, ainsi que dans l’instruction en famille. Les auteurs et les autrices montrent en quoi les apprentissages des enfants sont facilités par une instruction en famille qui prend en compte la place du sentiment chez l’enfant et dans la relation pédagogique.

Enfin, sur la thématique du deuil, Christian Verrier propose un témoignage sur les écrits papier de personnes défuntes qu’il a retrouvés à l’âge adulte. L’auteur s’interroge sur la digitalisation et la disparition progressive des écrits papier qui, véhicules de mémoire à travers les générations, sont susceptibles de disparaître dans le futur.

Enfin, dans la rubrique des Choses lues, entendues et vues, Jérémy Ianni revient sur sa lecture d’un passage d’un ouvrage de Sören Kierkegaard, en particulier sur le concept de chagrin réfléchi, source d’un mouvement intérieur qui condamne au silence, après la rupture amoureuse. Vanessa Kientz partage quant à elle sa lecture des lettres d’amitiés, récemment ré-éditées, qui ont été échangées entre Simone de Beauvoir, Élisabeth Lacoin et Maurice Merleau-Ponty, en y livrant ses impressions. Martine Morisse propose une recension de l’ouvrage Un enseignant-chercheur en quête de sens et de liberté, dans lequel Florent Pasquier décrit son parcours universitaire, ses rencontres, ses activités scientifiques et son implication dans l’élaboration de nouvelles formations. Elle souligne l’usage qu’il fait de l’écriture narrative pour retracer son parcours atypique et présente Florent Pasquier comme un « militant pédagogue, un humaniste et un chercheur scientifique » : un texte qui, ouvert à un large public, nous donne envie de lire.

Notes

1 Marc Bekoff, 2000, « Animal Emotions : Exploring Passionate Natures: Current interdisciplinary research provides compelling evidence that many animals experience such emotions as joy, fear, love, despair, and grief – we are not alone », BioScience, n° 50/10, p. 861-870, [https://academic.oup.com/bioscience/article/50/10/861/233998].

2 Claudia Vinke, 2021, « Do Animals Fall in Love? », Discover [https://www.discovermagazine.com/planet-earth/do-animals-fall-in-love].

3 Pauline Petit, 2023, Les animaux peuvent-ils s’aimer d’amour ?, [https://www.radiofrance.fr/franceculture/les-animaux-peuvent-ils-s-aimer-d-amour-6547644].

4 Helen Elizabeth Fisher, 2006, Pourquoi nous aimons ?, Paris, Robert Laffont.

5 [https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A6S0705].

6 [https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9S1252].

7 Oscar Bloch et Walter von Wartburg, 1968, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, Presses universitaires de France.

8 Laurence Sterne, 1981, Voyage sentimental par la France et l’Italie, trad. L. Sterne, Paris, Garnier-Flammarion.

9 Brigitte Louichon, 2008, « Le genre sentimental, entre immatériel et matériel », dans La Production de l’immatériel. Théories, représentations et pratiques de la culture au xixe siècle, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, p. 325-336.

10 Ibid., p. 327.

11 Brigitte Louichon précise, en note de bas de page : « “Claire d’Albe et Malek-Adel étaient des chefs-d’œuvre ; Mme Cottin était déclarée le premier écrivain de l’époque”, écrit Victor Hugo dans le chapitre “L’année 1817” des Misérables, éd. Maurice Allem, Paris, Gallimard, “Bibliothèque de la Pléiade”, 1952, p. 123-124. »

12 Si nous ne mentionnons pas la psychanalyse, nous n’ignorons pas que l’exploration des sentiments par cette discipline est essentielle pour comprendre les expériences humaines.

13 À noter que Théodule Ribot était aussi agrégé de philosophie. Il fonda la Revue philosophique de la France et de l’étranger en 1876.

14 Théodule Ribot, 2005, La Psychologie des sentiments, Paris, L’Harmattan.

15 Alfred Binet, 1896, « Th. Ribot. Psychologie des sentiments », L’Année psychologique, n° 3, p. 552-577.

16 Le Banquet éclaire sur l’Amour et la recherche du bonheur véritable.

17 Jean-Jacques Rousseau, 1969, L’Émile ou de l’éducation, tome IV, Livre II, Paris, Gallimard, p. 322.

18 Monique Jeudy-Ballini, 2010, « L’altérité de l’altérité ou la question des sentiments en anthropologie », Journal de la Société des Océanistes, n° 130-131, [https://journals.openedition.org/jso/6035].

19 Province de Nouvelle-Bretagne orientale en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

20 Monique Jeudy-Ballini, 2010, « L’altérité ou la question des sentiments en anthropologie », art. cit., p. 133.

21 Arnold Léonard Epstein, 1990, « Dream Drawings, Affect, and Cultural Themes : Pointers from Some Tolai Data », The Psychoanalytic Study of Society, n° 15, p. 179-204.

22 Luc Boltanski, 1990, L’Amour et la justice comme compétences. Trois essais de sociologie de l’action, Paris, Métailié.

23 Francesco Alberoni, 1981, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay.

24 Pierre Bourdieu, 1998, La Domination masculine, Paris, Seuil.

25 Ibid., p. 117-118.

26 Arlie Russell Hochschild, 2017, Le Prix des sentiments. Au cœur du travail émotionnel, Paris, La Découverte.

27 Ibid, p. 219.

28 Un ouvrage collectif vient de paraître. Il présente, de façon pluridisciplinaire et multiréférentielle, des points de vue différents et ouverts sur l'importance des éléments sentimentaux et affectifs présents dans toute relation éducative : Houria Meddas et Jérémi Ianni (dir.), 2024, Pour une éducation sentimentale et affective. De la petite enfance à l'ensuite…, Paris, Éditions du Cygne.

29 Sens donné à partir du Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition (actuelle).

Citer cet article

Référence électronique

Houria Meddas, « Présentation du dossier », Pratiques de formation/Analyses [En ligne], 69 | 2024, mis en ligne le 30 septembre 2024, consulté le 14 décembre 2024. URL : https://www.pratiquesdeformation.fr/656

Auteur

Houria Meddas

Houria Meddas est doctorante en sciences de l’éducation et de la formation. Elle mène une thèse sur l’expérience scolaire vécue par les élèves allophones nouvellement arrivés en France et s’intéresse au processus de subjectivation, de construction identitaire, d’expression de soi en ayant recours à la pratique du journal.

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