Avec Mettre en œuvre la coéducation en classe (2023), Clothilde Jouzeau1 propose un livre de référence. Dans cet ouvrage composé de neuf chapitres, l’autrice présente de manière à la fois didactique et détaillée ses pratiques de classe et les réflexions qui leur sont intimement liées. Depuis trente ans, Clothilde Jouzeau pense en actes et – de plus en plus aujourd’hui – en mots une participation active, volontaire et conscientisée des familles à la vie quotidienne de ses classes et aux apprentissages de tous les enfants.
Préfacé par Philippe Meirieu, ce livre donne des raisons pratiques d’imaginer et d’interroger la place et le rôle de l’école dans la société, avec et auprès des familles. Loin des discours incantatoires ou autres idéalismes vantant une école imaginaire des villages d’antan chez Marcel Pagnol et Jules Ferry, ce témoignage a « les deux pieds dans la classe ». Il propose, en même temps, une description détaillée de pratiques et des analyses aussi précises que pertinentes. Le lecteur appréciera le « souci d’une lecture multiforme » (p. 14) présenté dans un prologue : schémas, cartes mentales et autres encadrés ponctuent ainsi une écriture claire et limpide. Dans le même esprit, chaque chapitre se conclut par une partie intitulée « Ce que nous retiendrons » : un geste éditorial et pédagogique qui accompagne le lecteur dans sa compréhension fine de ce qu’est réellement la coéducation pour Clothilde Jouzeau.
Les premières pages du livre permettent d’accéder au sens de ce concept au moyen d’une relecture à la fois scientifique, législative et historique. Pour l’autrice, « [la] définition la plus complète est certainement celle proposée par [Florence] Pirard :
La coéducation peut être définie comme une forme d’éducation qui privilégie l’apprentissage en autonomie, par l’expérience collective et la collaboration. […]. Le principe de coéducation met l’accent sur le rôle de chacun de ceux qui entourent un enfant dans le processus éducatif (parents, enseignants…). La coéducation est un processus interactif et collectif qui favorise la socialisation de l’enfant2.
À partir du deuxième chapitre, l’autrice présente des outils et des dispositifs qui permettent d’ouvrir la classe. Journaux, blogs et autres affiches, carnets, sont autant d’objets transitionnels qui permettent d’accueillir chaque famille. À ce stade de réflexion, Clothilde Jouzeau développe la nécessité d’un langage approprié, adapté à la cause de la coéducation dont elle fait l’éloge. Lorsqu’on échange avec les familles, notamment au moment de l’accueil, dans la cour ou dans la classe, il convient de prendre garde à deux écueils : le jugement et le jargonnage.
L’autrice propose alors des reformulations sous forme de périphrases (p. 45) et conseille les enseignants quant aux postures : elles indiquent les espaces-temps où dire les choses. À travers ses mots, Clothilde Jouzeau propose un changement de champs discursifs. Il s’agit de quitter, au moins partiellement, le seul discours des normes, notes, évaluations et résultats pour entrer dans celui des « vraies » vies scolaires, faites de projets, de créations individuelles et collectives, émaillées de rituels autant que d’imaginaire.
Le chapitre suivant offre au lecteur des indications sur le « démarrage » institutionnel et pratique d’une classe ouverte. La coéducation s’entend comme un dispositif horizontal : un engagement de tous les acteurs professionnels de l’éducation (Atsem, AVS, AESH, enseignants du Rased, etc.) dans une démarche collective. Clothilde Jouzeau donne ici, à l’appui de nombreux exemples, des conseils et des indications sur cette professionnalité partagée. Pour que le dispositif fonctionne, il faut également engager les parents dans le fonctionnement de la classe ouverte dès la réunion de rentrée. L’enseignant lecteur de cet ouvrage trouvera des conseils pour bien construire cette réunion, qu’il s’agisse d’indications de postures, d’ordre du jour ou de disposition de la salle.
Le quatrième chapitre aborde la question des activités intergénérationnelles. Sorties, visites au musée ou à la bibliothèque, ateliers jeux de société, lectures d’albums, activités cuisine, sont ainsi détaillés. Ces ateliers sont autant d’occasions de valoriser et de s’appuyer sur les compétences, savoirs et savoir-faire des familles. Cette philosophie inclusive se retrouve dans les ateliers multilingues présentés dans le chapitre suivant. Pour Clothilde Jouzeau, « [la] difficulté d’utiliser la langue première au sein de l’école est levée si le multilinguisme est valorisé au sein de la classe » (p. 130).
Le sixième chapitre constitue un moment charnière du livre. Intitulé « Changer les regards », il resitue la « coéducation participative » parmi un ensemble d’autres termes – partenariat, collaboration, alliance éducative, soutien à la parentalité – pour mieux en saisir la philosophie. Pour Clothilde Jouzeau, « ce dispositif [de la coéducation participative] renoue avec l’agora grecque. Cet espace public est un lieu de rendez-vous et de rassemblement dans lequel on se promène, on apprend les nouvelles, on écoute les philosophes, et au sein duquel les citoyens s’approprient l’espace, prennent des décisions. L’école “au cœur de la Cité” est alors un lieu de coconstruction de savoirs communs » (p. 154-155).
En mettant en place cette agora du vingt-et-unième siècle, il n’est pas question de « guider certaines familles » (p. 155). « L’enseignant n’est pas dans la “ toute-puissance”. Il ne prétend pas savoir ce qui est mieux pour elles, il construit avec elles, le temps d’une année scolaire » (ibid.). Il construit d’autant plus avec les familles que la coéducation participative se veut un dispositif pleinement inclusif où « [l]e vivre-ensemble est une valeur motrice » (p. 189).
L’avant-dernier chapitre permet de « questionner la posture enseignante ». Les cadres professionnels de la laïcité à l’école sont rappelés, à l’appui de cas pratiques situés, vécus puis commentés extrêmement pertinents dans un contexte de formation initiale. Il est justement question de la formation initiale dans le dernier chapitre : après être revenue sur un état actuel des formations initiales et continues, Clothilde Jouzeau émet des propositions en faveur d’une coconstruction de repères d’équipe, notamment à l’appui d’activités telles que le photolangage. On retiendra enfin, après une courte conclusion, une liste d’invariants qui donne des repères sur ce qu’est, et surtout sur ce que n’est pas, la coéducation participative.
Ce livre interpelle autant qu’il rassure. Il interpelle en ce qu’il est un écrit pleinement pédagogique. Pour Jean Houssaye, « la pédagogie est l’enveloppement mutuel et dialectique de la théorie et de la pratique éducatives par la même personne3 ». Ici, Clothilde Jouzeau réussit ce pari éditorial de proposer un ouvrage qui conviendra autant à un lectorat professionnel (enseignants débutants, expérimentés, formateurs) qu’à des chercheurs en sciences de l’éducation et de la formation. Richement documenté, particulièrement illustré d’exemples issus des quotidiens de classe de l’autrice, cet ouvrage convient à quiconque souhaite interroger les relations école-famille.
Dans le même temps, ce livre rassure aussi pour les mêmes raisons : en ce qu’il est un écrit pleinement pédagogique. C’est une écriture incarnée, engagée, enracinée dans une pratique émancipatrice. Dans un style limpide, l’autrice se positionne avec humilité et engagement. Elle présente ses choix et ses tâtonnements, elle les situe socialement et politiquement. Elle présente, sans effet littéraire, ses difficultés, ses réussites et ses positionnements (y compris face à l’institution Éducation nationale).
En définitive, Mettre en œuvre la coéducation en classe est un livre simple à lire et auquel il est vivement recommandé de recourir (vu le format déjà exposé) et que l’on peut conseiller à toute personne engagée à titre professionnel, d’études ou de recherches sur la voie de l’enseignement et de la formation. Enseigner est un acte politique, en ce qu’il a à voir avec le politique, autrement dit avec la vie de la cité : ce livre, autre acte politique, engagé, ouvre des pistes pour questionner en pratiques et en théories – c’est-à-dire pour questionner de manière pédagogique – les relations école-famille, et plus largement les rôles éminemment éducatifs de la société au sein de laquelle cohabitent enfants et adultes.